Pour définir la démarche – en tant que peintre – de Joël Barbiéro, je dirais quelle est basée sur la mémoire, révélée dans le souvenir des années d’enfance. Cela est présent dans la progression de son travail.
Lors de ses promenades, qui sont d’importance, il revoit ces lieux emblématiques, où il a vécu et a évolué.
Cette recherche est donc basée sur ces instants, ces images intérieures, qui sont présentes et entretenues dans sa mémoire.
Ses préoccupations pendant ces moments de liberté sont surtout l’observation et l’appréhension de la nature, des bruits, des odeurs. Les variations de la lumière accentuent ces perceptions.
Ces images restent en lui et sans qu’il le décide délibérément, elles sont retranscrites dans ses travaux, comme des instants volés au passé.
Ce besoin de prendre prétexte du paysage s’impose à lui. Paysage réduit à des espaces clos, sans dimension précise, où l’ombre est toujours présente, comme une alliée, un refuge. L’ombre qui ressource, rassure, permet de se dissimuler. L’ombre est secrète, elle entretien l’émotion par sa profondeur et la lumière apparaît de l’intérieur.
Il y a dans l’ombre un espoir de revivre en pénétrant dans une forme d’émotion. Le trait du dessin disparaît dans l’ombre, pour construire cette forme qui va révéler la lumière.
Au commencement Joël Barbiéro était apprenti chez un artisan graveur, puis dessinateur d’enseignes publicitaires. Parallèlement il suit les cours de dessin dans l’atelier de Paul Eychart aux Beaux-Arts de Clermont-Ferrand. Il fait différents métiers et consacre son temps libre à la peinture.
Après sa première exposition à la galerie Escarguel en 1966, bien d’autres suivront, salon national des beaux arts, salon des indépendants et plus tard les réalités nouvelles.
Dans les années 70 il expose à « formes et couleurs artistes professionnels d’Auvergne ». Il participe aux expositions l’art dans la ville à Billom et à la première rencontre autour de Georges Bataille, avec la complicité d’Alain Brayer.
Dans les années 80 il est présenté à la galerie Artès à Paris et est lauréat du prix des volcans à Clermont-Ferrand.
Lors de l’inauguration du centre Pomel à Issoire, il rencontre Jean Hélion. Cette relation sera très importante pour lui.
Dans les années 90, l’AMAC à Chamalières l’invite, ainsi que la galerie Jean à Paris et le conseil général du Puy-de-Dôme. Le centre Nicolas Pomel à Issoire lui consacre une exposition. Il fera la rencontre de René-Jean Clot qui lui écrira la préface du catalogue.
Sa collaboration avec la galerie Gnaccarini de Bologne l’entraine dans les foires telles que Artexpo Barcelone, Linéart Gent, St’art Strasbourg. Puis la Galerie Richard Nicolet le présente à Arténim et la galerie GNG l’expose à la foire Art Karlsruhe, ainsi qu’à Holland Art Fair.
En 2004 il rejoint la galerie Arkos, puis la galerie AA. Gilles Naudin lui consacre trois expositions à Paris. La galerie Garnier Delaporte le présente dans sa galerie et à Art-up Lille. Deux expositions suivront à la galerie Jean-Louis Mandon à Lyon.
Le travail de Barbiero a évolué vers une réflexion plus proche de la nature et une expression plus figurative. Il vit et travaille près de Clermont-Ferrand dans un village entouré de vergers.
Les pierres sont des âmes silencieuses. Barbiero le sait bien, lui qui cherche sans relâche à en rompre le mutisme. Trop longtemps prisonnières de leur corps minéral, condamnées à une interminable immobilité, elles se tiennent figées, encore toutes engourdies. Elles reposent en leur tombeau de cendre, d’humus et de poussière. Elles attendent, masses sombres à la merci des étreintes terrestres et de la redoutable et redoutée finitude. Les pierres se sont tues.
Alors le peintre, en un langage gris, brun et bleuté, relate. Il se fait interprète. Il nous conte d’abord la conspiration de la matière inerte, celle qui réprime toute aspiration à l’élévation et fait taire les désirs, les possibles. Lentement, elle façonne des corps-prisons où viennent s’éteindre la vie et le mouvement. Ensevelie sous la terre glacée, la roche se meurt.
Et pourtant, n’est-ce pas une respiration, qui soudain semble s’élever de la froide immobilité ? Quelque chose palpite, c’est certain. Un reste de vie souterraine. Peut-être un appel à la grâce ? Un presque rien qui émerge de la solitude horizontale.
Peut alors venir le temps du combat vertical. La grâce contre la pesanteur, le sacré contre le profane. La main pressent et suit le pouvoir de la pierre à déjouer les lois de la nature et à s’élever, bien au-delà d’elle même, vers un lieu incertain. Oui, cela apparaît désormais, les pierres cherchent à quitter l’ancienne demeure et à prendre leur envol.
Peintre des contraires, Barbiero rend alors visibles ces forces combattantes et ces luttes intestines : de la pesanteur ou de la grâce, qui va gagner ? Bien sûr, la guerre semble perdue d’avance. Qui peut croire en la prétention de la roche pesante à s’évader d’elle-même pour rejoindre un univers éthéré ? Dans cette joute acharnée, il en va pourtant du sort du monde. Ce qui se donne à voir ici est davantage qu’un simple et vain jeu : c’est le pouvoir du sensible à se défaire des apparences et de ses lois.
Contre toute attente, la légèreté gagne sur la pesanteur. Les corps de pierre deviennent corps de lumière. La masse, transfigurée, tend à rejoindre le ciel. Ou bien est-ce le ciel qui descend jusqu’à elle, s’étire et s’étend pour la frôler et, dans un souffle caressant, l’attirer à lui ? C’est comme une aile qui soudain s’abat sur la surface, la polit et la sculpte en de douces et sobres sphères. La lumière a acquis ici la puissance de mouvoir. Elle donne forme également, et n’en fait qu’à sa tête.
Barbiero met ainsi le monde au pas, à son pas, qui n’est ni plus ni moins que celui de la nature poétisée, réussissant enfin à se libérer du joug de l’inertie. Il y a chez ce peintre un parti pris des choses, un parti pris de la matière inorganique qui, tout autant que le reste, aspire à être autre qu’elle-même et à vivre, simplement.
Contre le poids des choses, contre le chaos : le destin caché de la matière, celui de la pureté ayant à ressusciter sans cesse.
Anne-Sophie REINEKE, janvier 2009